Au coeur du hackathon #NecMergitur

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Ma schizophrénie informatique a été poussée à son paroxysme le week-end dernier. Jamais auparavant cette pathologie (un peu spéciale) n’avait été aussi avancée. Mais cette fois, c’est (presque) l’Etat lui-même qui m’a encouragé à sortir mes multiples casquettes.

En effet, le week-end dernier se déroulait le hackathon #NecMergitur, organisé par la mairie de Paris et la préfecture de Police et « hébergé » par l’Ecole 42.

Objectif de ces 3 jours : « renforcer la sécurité dans Paris ». Wikipédia définit un hackathon comme « un événement où des développeurs se réunissent pour faire de la programmation informatique collaborative, sur plusieurs jours. Le terme est un mot-valise constitué de hack et marathon. »

Début décembre, j’ai été sollicité dans le cadre de la Communauté Informatique au sein du Ministère de l’Intérieur (CIMI) que j’anime depuis deux ans pour participer aux premières réunions.

Je participerai par la suite à plusieurs réunions dans le temps (très court) restant avant le démarrage du hackathon (le 15 janvier).

Un hackathon… je n’avais jamais participé à ce type d’événement. A dire vrai, lors des premières réunions, mon sentiment oscillait entre circonspection (un mois et demi seulement de préparation me semblait à la limite du raisonnable) et excitation à l’idée de vivre un événement de cette ampleur. Améliorer la sécurité grâce aux technologies de l’information, cela me parle : ancien policier, je suis maintenant ingénieur des SIC au ministère de l’Intérieur, plus particulièrement au ST(SI)², le service informatique de la police et de la gendarmerie.

Je ne voulais pas non plus rater ce moment parce que j’ai assisté, impuissant comme beaucoup, aux attentats du 13 novembre derrière mon ordinateur, passant plusieurs heures de Twitter à Facebook afin de relayer les bonnes informations. De cette frustration, j’ai tiré une très forte envie d’agir. Pour moi, ce hackathon Nec Mergitur, c’était d’abord ça.

Je me suis donc inscrit sans hésitation, mais non sans une pointe de culpabilité pour ma petite famille qui n’allait pas me voir du week-end, puisque cet événement était programmé du vendredi 15 janvier au soir au dimanche 17 janvier au soir.

Impliqué dans l’organisation au titre de la CIMI, mon rôle a été de mobiliser et d’informer les contacts de notre communauté et de participer à la définition des défis proposés.

Cimi-logo

Je tenais, par ailleurs, à participer activement à l’un d’entre eux et pourquoi pas, à intégrer une équipe afin de vivre pleinement ce moment.

Hormis le défi 1, pour lequel je pensais ne pas avoir grand-chose à apporter ; toutes les thématiques m’intéressaient. Pour mémoire, voici la liste des défis :

  • défi n°1 : Prévenir la radicalisation, concevoir et diffuser les contre-discours ;
  • défi n°2 : Comment soulager les plateformes de réception des appels d’urgence face à un afflux massif ;
  • défi n°3 : Recevoir et traiter l’information des citoyens par un autre canal que le 17, le 18, ou le 112 ;
  • défi n°4 : Peut-on construire un nouvel outil pour diffuser l’information en temps réel à destination du grand public ? ;
  • défi n°5 : Détecter et contrer les rumeurs en temps réel ;
  • défi n°6 : Les défis complémentaires.

Voici ce que j’ai vécu pendant ces trois jours :

Vendredi 15 janvier

17h30, démarrage du Hackathon à l’Ecole 42, la foule à l’entrée témoigne du nombre impressionnant de participants : environ 400 personnes.

Sur place, je retrouve quelques collègues du ministère de l’Intérieur et je fais le tour des défis. Très rapidement, je me focalise sur le défi n°4 : « Peut-on construire un nouvel outil pour diffuser l’information en temps réel à destination du grand public ? ».

L’équipe se forme rapidement, j’en connais certains :

  • Laurent Bossavit, des startups d’Etat qui sera notre capitaine (défi 4.2) ;
  • Eric, policier, responsable d’une unité informatique à la DSPAP de la Préfecture de Police ;
  • Marc Musielak, développeur SIG de chez Capgemini (avec qui je travaille au ST(SI)² dans le cadre de notre projet de cartographie) ;
  • Kévin Royer, data scientist au ST(SI)² ;
  • Laurent, policier à la DSPAP de la préfecture de Police ;
  • Philippe et Charles également policiers à la préfecture de Police.

Et d’autres que je ne connaissais pas :

  • David Poulailleau, développeur Mobilité chez Capgemini ;
  • Christophe, développeur web dans une startup ;
  • Thomas Pasquier, graphiste chez Capgemini.

Nous serons les « GéoTrouvetou de l’alerte » et nous baptiserons notre projet « Géo Alerte ».

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Géo Alerte c’est une plateforme qui permet de :

  • Diffuser une alerte par une autorité (Préfecture, SDIS, Police, Gendarmerie…) ;
  • Récupérer l’information si une localisation est concernée et en connaître l’emprise par tout acteur sur internet (réseaux sociaux, opérateurs, institutions, particuliers…).

Le projet nous semble bien cadré ; je quitte les lieux vers 22 heures.

Samedi 16 janvier

Première des deux grosses journées qui nous attendent.

Le matin, nous mettons en place les outils :

  • Google Drive pour le partage des documents ;
  • GitHub pour le partage du code source (4 dépôts seront créés, préfixés « nm-« ) ;
  • Docker, qui nous permettra d’homogénéiser les environnements de développement et de déployer facilement nos applications.

Puis, nous faisons quelques choix technologiques :

  • PHP et Slim Framework pour l’API qui est l’élément central de notre plateforme ;
  • PostgreSQL et postGIS pour le stockage des données ;
  • Openlayers 3 pour le front office ;
  • HTML/CSS pour la landing page ;
  • Cordova pour le démonstrateur mobile, 2 APK Android seront créés.

En parallèle, nous travaillons sur la présentation et le pitch avec deux slogans qui se dégagent :

  • « Mes applis préférées, la sécurité en plus » : pas de nouvelle application en plus mais des applications existantes qui intègrent la sécurité par rapport à la localisation volontaire ;
  • « Security as a platform » : nous mettons en place une plateforme qui peut être consommée par tout acteur sur Internet.

En fin de journée, nous avons bien avancé : les prototypes sont relativement aboutis. Après les sushis livrés (et dévorés) au début de la soirée, nous reprenons le travail et je quitte l’Ecole 42 vers 00h30.

Dimanche 17 janvier

Hébergé non loin de l’Ecole 42, je suis de retour très tôt. En fait, j’ai peu dormi, tout excité à l’idée de me remettre au travail.

Nous reprenons nos activités, en particulier la lourde tâche qui consiste à intégrer ce qui a été produit et le rendre fonctionnel et accessible sur le net.

Le premier pitch doit démarrer à 13h30.

Dans la matinée, nous présentons une bonne dizaine de fois le projet de manière informelle, à des journalistes, aux organisateurs, à des curieux et également à des personnes de la CNIL. A chaque fois, c’est l’occasion de jauger leur ressenti et de se préparer aux questions qui nous seront posées par le jury.

Dernière ligne droite du matin et du début d’après-midi, nous finalisons « à l’arrache » la mise en ligne de ce que nous avons produit, à savoir :

  • Une présentation du projet (diapo) ;
  • Un site web de présentation ;
  • L’API qui permet d’ajouter des événements et d’interroger (un point est-il dans une zone ?) ;
  • Le front office des autorités ;
  • Deux applications mobiles (démos La Fourchette et Vélib’).

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Premier pitch devant le jury vers 13h30, nous avons 4 minutes.

Laurent présente Géo Alerte. Je suis impressionné par sa manière de valoriser notre production. Le jury réagit bien, visiblement.

Pour présenter Géo Alerte, Laurent parle de Julien :

« Julien a 27 ans, il aime aller au restaurant, aller boire un verre… Julien, c’est un peu la génération Bataclan. Mais un peu comme nous tous, Julien n’est pas très rassuré à l’idée de sortir en raison des attentats. Il n’a pas non plus envie d’être « fliqué » ni géolocalisé en permanence et n’a pas envie d’installer une énième application. Il aimerait juste avoir plus de sécurité dans les applications qu’il utilise au quotidien. »

Géo Alerte c’est : « mes applications, la sécurité en plus », une plateforme permettant l’accès à une API publique qui répond à la question suivante : « Suis-je dans une zone de danger ? » avec un slogan : « security as a platform ».

Cette plateforme, financée par les pouvoirs publics, pourrait être réalisée en mode startup d’Etat et serait proposée sans redevance pour les fournisseurs d’application.

A faible coût pour les services de l’Etat (puisque seule la plateforme serait à financer), l’intégration dans les applications serait à la charge des fournisseurs d’application qui, à moindre frais, pourraient proposer davantage de sécurité dans leurs applications.

Très bon retour du jury, comme en témoignent l’attention qui est portée à la présentation et les questions qui nous sont posées.

Dans un joyeux chaos organisé, nous avons eu le plaisir, de pitcher une seconde fois notre projet. Cette fois-ci à des « personnalités » ainsi nous présentons Géo Alerte à :

  • Clotilde Valter, secrétaire d’État chargée de la réforme de l’Etat et de la simplification
  • Michel Cadot, le préfet de police de Paris
  • Henri Verdier, directeur interministériel du numérique et du système d’information de l’Etat français
  • Jean-Louis Missika, adjoint à la maire de Paris, initiateur de ce hackathon

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La présentation se passe très bien, et suscite l’intérêt de notre auditoire, les questions sont nombreuses : on est vraiment dans l’échange. On ne pouvait rêver plus d’écoute et de retours positifs. A ce stade, le projet est déjà un succès, indépendamment du résultat.

Au final, Géo Alerte ne sera pas sélectionné dans les 10 projets retenus, mais obtiendra une mention spéciale du jury.

Le bilan

Alors, qu’ai-je retenu de ce hackathon ?

Pour être honnête, je ne savais pas à quoi m’attendre concernant le déroulement de mon premier « vrai » hackathon.

L’équipe que nous avons constituée était très complémentaire. Des personnes du public et du privé, mais aussi des profils différents : agiliste, développeur web et SIG, développeur mobilité, graphiste, ce qui nous a permis de couvrir tous nos besoins pour arriver à livrer quelque chose d’abouti.

Humainement, au niveau de l’équipe, nous avons fonctionné en mode « sociocratique » sans vraiment nous poser la question. En effet, la plupart des décisions sur le choix du projet, des outils ou des fonctionnalités ont fait l’objet d’une approbation de l’ensemble des membres de l’équipe, condition sine qua non pour établir l’engagement nécessaire à l’intensité du travail à fournir dans ce court laps de temps. Je me suis senti comme un poisson dans l’eau dans cet environnement un peu chaotique, dans ce bouillonnement d’idées, un peu en mode commando.
Plus largement, le hackathon était aussi l’occasion de rencontrer d’autres acteurs de la sécurité au sens large, de mieux connaître les métiers de chacun, et d’en appréhender les contraintes. Cela a ainsi été l’occasion d’établir de premiers contacts qui seront très certainement utiles par la suite.

Concernant l’organisation du hackathon, je suis vraiment impressionné de voir ce qui a été fait malgré le temps d’organisation très court de cet événement, dont on imagine bien la sensibilité du fait de son lien avec les attentats.

Je dois saluer le travail de la préfecture de Police qui a accepté de relever ce défi lancé par la mairie de Paris, et qui a été pleinement engagée dans l’organisation, sur les aspects sécurité bien entendu, mais aussi sur le déroulement et le contenu du hackathon.

N’oublions pas l’Ecole 42 qui a fourni toute la logistique, les locaux, les repas, le matériel… Merci aux étudiants et au personnel engagé.

Enfin, chapeau bas à l’équipe de la mairie de Paris en charge de l’organisation, qui a dû se faire quelques cheveux blancs et dormir pendant au moins trois jours après l’événement tant la tâche était ardue et a dû sembler insurmontable par moments.

Je suis également très heureux d’avoir pu travailler avec mes collègues policiers de la préfecture de Police, étant moi-même un ancien de cette maison. Du point de vue des compétences, ces derniers n’ont rien à envier au secteur privé bien qu’ils soient souvent persuadés du contraire. Cette collaboration a renforcé ma conviction que la CIMI, structure que nous avons créée il y a plus de deux ans, a un rôle à jouer au niveau du ministère de l’Intérieur, sur les échanges et l’entraide ainsi que sur la montée en compétence en informatique de l’ensemble des acteurs de l’informatique du ministère de l’Intérieur.
Cela confirme aussi les vertus du mélange, de la transversalité et du décloisonnement que j’évoque dans mon article schizo 2.0.
Un décloisonnement plus que nécessaire comme ont pu le sentir, je pense, la plupart des professionnels de la sécurité qui étaient présents, à l’image de Sidonie Thomas, commandant de police à la préfecture de Police qui évoque « la grande bouffée d’air intellectuelle qu’a amenée le fait de rencontrer des gens qui pensent différemment, » dans un article du Monde.

La qualité de ce qui a été produit pendant ce hackathon est impressionnante. C’est incroyable ce qui a été fait en si peu de temps, la richesse des projets, et leur niveau d’aboutissement. Je pense que beaucoup ont été surpris par cela, à commencer par les organisateurs.

Vous pouvez retrouver la liste des 10 défis sélectionnés et les 17 mentions spéciales sur le site de la mairie de Paris.

Et après ?

Je ne m’étais pas posé la question de l’après… je n’imaginais pas qu’il pouvait y avoir un après :).
Notre projet va-t-il être lancé ? Serons-nous (l’équipe) impliqués ?
Si oui, de quelle manière ? J’ai pour ma part une activité à temps plein de chef de section cartographie au ST(SI)² (service informatique de la police et de la gendarmerie)…

Aujourd’hui, c’est le retour à mon quotidien qui n’est pas celui du « monde de l’innovation ».

Je reste également convaincu que notre travail ne peut se résumer à une série de hackathon, un raccourci que certains « chefs » pourraient être tentés de faire. Cette capacité à innover dans un temps très court doit être suivie d’actions durables par essence éloignées de ce moment d’euphorie que nous avons partagé. Des actions durables et des moyens sans lesquels l’innovation ne saurait aboutir à de véritables projets.

Aujourd’hui, c’est le retour à la réalité… des fiches de livraison, des factures qui ne passent pas dans Chorus, des problèmes de RH… qui ne me feront cependant pas oublier ce week-end exceptionnel et finalement très positif en ce qui me concerne.

Un grand merci à tout ceux qui ont tenté l’aventure avec nous pour former cette équipe des « GéoTrouvetou de l’alerte ».

Revue de presse  :