Pour ma première fiche de lecture je vais vous parler d’un livre qui m’a vraiment botté : « DATANOMICS : les nouveaux business models de la donnée » sorti en 2015 chez FYP.
C’est en apprenant à utiliser des bases de données en développant des applications que j’ai commencé à m’intéresser à ce monde des données. Un peu plus tard en me mettant à Open Street Map (un système de cartographie libre et contributive), j’ai été frappé -lors des premiers ateliers avec la communauté française- du message que l’on nous faisait passer : OSM n’est pas qu’une simple carte mais une base de données ; le fond de carte n’est qu’une des mille et unes manières de valoriser les données d’OSM.
Plus globalement, le caractère stratégique des données a été démultiplié par la révolution numérique ; cela s’explique par la quantité générée et par la maturité des technologies qui permettent de traiter, transformer et analyser ces données et, au final, leur donner de la valeur.
Le challenge du livre DATANOMICS est de nous accompagner dans la découverte des différentes formes de valeurs que peuvent prendre les données nous permettant d’en évaluer le potentiel. Si le sujet est bien centré sur les données il est aussi question de transformation numérique, ce que l’on perçoit d’ailleurs c’est que ces deux sujets sont finalement indissociables.
L’ouvrage a été écrit par deux spécialistes de la donnée Simon Chignard et Louis-David Benyayer ; il démarre avec une citation de Melvin Kranzberg : « La technologie n’est ni bonne, ni mauvaise. Elle n’est pas neutre non plus ».
Le public visé est très large, il s’adresse à celles et ceux qui « veulent comprendre et agir. Les décideurs économiques et politiques y trouveront des clés pour identifier les opportunités et les menaces dans les changements en cours ; chacun y trouvera des pistes d’action, individuelles ou collectives, du local au global. »
Un nouveau paysage des données et leur valeur
Dans cette première partie les auteurs reviennent sur les origines de la révolution des données. Ils expliquent en quoi différents facteurs tels que les coûts de stockage, la demande en très forte croissance et l’essor des fameux algorithmes ont changé profondément la donne.
Le livre aborde ensuite le caractère non-neutre de la donnée : la donnée brute n’existe pas. Ils dénoncent une certaine « pensée magique du big data » qui permettrait de tout expliquer.
Ensuite sont analysées les caractéristiques et la singularité des données après la révolution numérique. La croissance exponentielle du volume de données générées, leur grande variété et les différents modes de production : les producteurs (humains ou machines/capteurs), le caractère intentionnel (ou non) et la finalité de la production puis la raison pour laquelle la donnée est produite.
La donnée en tant que matière première, levier et actif stratégique
La seconde partie traite de la valorisation de la donnée dont les auteurs proposent différentes formes :
- La donnée matière première : tire sa valeur par la revente,
- La donnée un levier : utilisée sans marchandisation, pour rationaliser, économiser, améliorer des processus,
- La donnée actif stratégique : permet de défendre ou de conquérir une position.
Alors que le sujet de la monétisation des données personnelles a été souvent évoqué cette année avec l’entrée en vigueur du RGPD, la question de la valeur des données peut paraître assez simple de prime abord. En réalité le sujet est bien plus complexe que cela.
On compare souvent à tort la donnée à une matière première (carburant, minerai…). La donnée se distingue pourtant des matières premières traditionnelles par une quantité qui croît de manière exponentielle alors que les coûts de stockage ne cessent de baisser. Comme le dit Henri Verdier : « data is the new soil » (« soil » au lieu de « oil »), la donnée est un nouveau terreau.
Autre particularité : le caractère « non rival » de la donnée, elle peut être utilisée en simultané (contrairement à l’essence) : « elle (la donnée) est disponible en quantité toujours suffisante, difficile à protéger et facile à reproduire, ne s’épuise pas quand on la consomme et sa valeur réside davantage dans sa circulation que dans sa thésaurisation ».
Une seconde forme de valeur proposée est le levier et le gain d’opportunité. Les données d’une entreprise ou d’une administration sont la plupart du temps dotées d’une valeur qui pourrait être utile à l’organisation, celle-ci est souvent mal exploitée. Cette approche permet ainsi à une entité d’améliorer son système d’information, mais aussi de mieux connaître ses clients (ou ses administrés). Bien utilisée cette forme de valeur doit permettre de décider et d’agir.
Enfin, la donnée peut également devenir un actif stratégique. Dans ce cas l’entité ne se contente plus de d’être centrée sur son activité mais s’attèle à la conquête de nouveaux marchés ou défend une position déjà établie. C’est typiquement ce qu’ont su faire les GAFAM et plus largement les plateformes.
C’est peut-être aussi parce que cet aspect stratégique est négligé que des entités (publique ou privées) se font « ubériser ».
Analyse d’impact et pistes d’action pour les entreprises, l’acteur public et l’individu
La troisième partie : « Analyse d’impact et pistes d’action pour les entreprises, l’acteur public et l’individu » démarre par la description du nouveau paysage de cette guerre des données, la façon dont l’économie traditionnelle est remise en question de manière parfois radicale dans la plupart des secteurs d’activité.
Les auteurs proposent différentes pistes pour réagir. S’il est nécessaire d’acquérir de nouvelles compétences il est surtout nécessaire de changer de posture (ce qui n’est pas forcément évident pour une entreprise ou une administration) par le développement d’un véritable « esprit des données » et la nécessité d’expérimenter alors que dans l’économie traditionnelle on est plus dans la planification.
Il n’y aucun doute possible sur le caractère politique de la donnée, la raison et la manière dont elle est collectée et « travaillée » et les objectifs de son utilisation (ex : statistique de la population, délinquance…).
Les villes intelligentes (smart city) prises en exemple illustrent bien au niveau local cette politique de la ville, les données captées, enrichies, raffinées doivent permettre de prendre des décisions ; et si elles apportent quelques réponses aujourd’hui, les promesses des villes intelligentes sont-elles vraiment tenues ?
La politique de la donnée peut également être déclinée au niveau du service public qui est menacé par ce Big data pouvant être perçu comme un potentiel cheval de troie. La quasi totalité des secteurs du service public étant remis en cause par la nouvelle économie. Paradoxalement, la politique d’ouverture de la donnée qui peut aussi constituer une réponse : ouvrir pour permettre une forme de « renforcement démocratique » (favoriser transparence) et pour finalement « réaliser la valeur de réutilisation » des données.
La politique de la donnée possède un caractère géopolitique, elle interroge sur la souveraineté et la régulation tant la menace pèse jusqu’au service public.
Le dernier sujet « faire société dans un monde de données » aborde l’impact social de ce nouveau monde des données et la manière dont l’individu et la société civile peuvent se positionner et faire face à la toute puissance des plateformes.
Conclusion
J’ai lu ce livre très rapidement (alors que je suis un piètre lecteur), je l’ai trouvé accessible et bien écrit, il est par ailleurs illustré de différents d’exemples concrets.
J’ai surtout découvert pas mal de choses alors que je pensais que le c’était assez simple (« ben on a de la donnée… on fait du business avec » ;-)). La lecture nous permet de mieux appréhender la complexité et les multiples facettes de la valorisation des données dans le contexte d’après révolution numérique.
Une chose m’a frappée également c’est que les données seules ne représentent que peu de valeur… la valeur des données tient également du traitement que de la donnée elle-même ; le livre permet de comprendre la place que les sciences de la donnée occupent aujourd’hui et d’entrevoir le potentiel des sujets d’actualité tels que l’intelligence artificielle, les objets connectés, les véhicules autonomes.
Enfin, le sujet sous-jacent est celui de la transformation numérique, il semble difficile voire impossible de tirer tout le bénéfice des données sans un changement radical de posture et de culture vis à vis des données.
Bonne lecture.