Pour une filière NSIC Police

Cet article est un plaidoyer pour la prise en compte de la spécialité NSIC (numérique et systèmes d’information et de communication) des policiers, il ne reflète que mes propres réflexions et n’engage en rien l’administration qui m’emploie.
Le but de ce billet : améliorer la prise en compte de cette spécialité devenue stratégique dans le contexte de la révolution numérique.

J’ai quitté la Police parce que cette filière n’existait pas

 

La transformation numérique et l’État plateforme sont au cœur de l’actualité et les RH n’échappent pas à cette profonde mutation. Quel que soit le métier, quelle que soit la corporation, la compréhension et la maîtrise du numérique constituent un puissant levier de changement tant il est devenu omniprésent et incontournable aujourd’hui.

Sur ce plan RH, je suis attristé de voir ce qui est fait (ou plutôt ce qui n’est pas fait) du côté de la Police nationale.

Écrire un billet sur la filière SIC police est une idée qui me titille depuis un moment. J’y pense en réalité depuis une dizaine d’années, avant même de quitter la police pour le corps des ingénieurs des SIC, alors que j’étais policier et développeur à la PJ parisienne (DRPJ).

Si le sujet me tiens tant à cœur, c’est que j’ai quitté la Police parce que cette filière n’existait pas.

Je suis arrivé au service informatique de la police judiciaire (SIPJ) à la Préfecture de police en 1999, « repéré » par un collègue de ce service.

Cette rencontre s’avèrera déterminante pour la suite de ma carrière. Je me suis alors investi avec passion dans cette nouvelle matière dont je pressentais qu’elle deviendrait, d’une manière ou d’une autre, ma future spécialité.

Quelques années plus tard, je voyais des collègues passer leurs examens pour accéder au grade supérieur. Mes compétences en informatique n’entraient pas en ligne de compte. Il a donc fallu me retrousser les manches pour bosser cet examen (brigadier) et me replonger dans des matières éloignées de ce qui était devenu ma spécialité.

À aucun moment lors de ces examens d’accès aux grades supérieurs, mes compétences en informatique n’ont été prises en compte. Pour l’administration ma spécialité semblait n’avoir aucune valeur alors que j’avais l’impression d’apporter quelque chose en plus.

En 2009 se pose un nouveau questionnement pour passer le concours d’officier de police… J’opte finalement pour le concours d’ingénieur des SIC, que j’obtiens en 2010. Au bout du compte, j’ai dû démissionner de la Police nationale pour être titularisé en tant qu’ingénieur.

Rétrospectivement, quitter la police a été un choix par défaut ; j’aurais préféré rester au sein de « ma famille ». J’intègrerai d’ailleurs le ST(SI)² en 2012 dans le cadre d’un recrutement Police nationale puis la Police aux frontières en 2017, une sorte de retour à la maison, même si j’ai bien conscience de ne plus être le même qu’avant.

Tous les flics dans la rue

 

Au gré des changements politiques, il a souvent été question de recentrer l’activité des policiers sur des missions purement opérationnelles plutôt que sur des emplois de bureau. Cette approche honorable semble relever du bon sens. Mais aujourd’hui, dans le contexte de l’après-révolution numérique, une vision binaire est-elle pertinente ?

En police (comme ailleurs), les structures informatiques sont souvent assimilées au matériel, aux voitures, aux consommables : bref, aux ressources au sens large. Or, dans le contexte actuel, peut-on vraiment réduire le numérique à l’installation de postes informatiques ou d’imprimantes ?

Si cela est peut-être le cas d’un point de vue purement « contrôle de gestion », je doute que cela corresponde à la réalité dans laquelle le numérique est partout. Il m’est d’avis, et c’est l’objet de ce billet, que les premiers concernés doivent se réapproprier le numérique qui a été abandonné à « ceux qui savent ».

Lorsque l’on tape « filière SIC police nationale » dans un moteur de recherche, on tombe sur cette page. Nous, les ingénieurs et techniciens des SIC, sommes donc la filière SIC de la police nationale.

Il n’y aurait donc pas de policiers informaticiens ? Il en existe en réalité des milliers.

Je ne suis pas certain que le nombre de policiers SIC soit connu, et encore moins que l’on sache en détail ce qu’ils font et quelles sont leurs spécialités.

À ma connaissance, aucun bilan de compétences (numériques) n’est réalisé aujourd’hui. Tout ce que je peux dire, c’est que cette population de policiers SIC se répartit sur la DGPN, la préfecture de police et la DGSI.

À titre d’exemple, lorsque j’ai quitté la direction de la police judiciaire de Paris, nous étions une quarantaine d’informaticiens pour environ 2 500 fonctionnaires, avec des missions que le service exerce toujours : formation, gestion de projet, administration système et réseau, développement, maintenance et assistance opérationnelle.

On retrouve ces policiers SIC à tous les échelons : au niveau des services informatiques des directions centrales, au niveau zonal, départemental, et jusqu’au niveau le plus élémentaire, quelle que soit la direction de police. Bien qu’ils soient, dans certains cas, mélangés avec des techniciens des SIC, la majorité des informaticiens de la Police nationale sont des policiers.

Le gendarme, les SIC et le numérique

 

J’ai passé plus de 4 années au ST(SI)² (le service des technologies et des systèmes d’information de la Sécurité intérieure). Il est impossible de ne pas comparer l’approche des SIC de la gendarmerie avec la celle de la police puisque les deux institutions y travaillent en commun.

J’ai été frappé par la manière dont les SIC et le numérique sont considérés par les gendarmes : le recrutement, la formation et la culture numérique omniprésente dans les directions métier.

La Gendarmerie a été rattachée en 2009 au ministère de l’Intérieur. Elle est arrivée avec sa propre culture SIC, de nombreuses fonctions internalisées et, disons-le, une forte volonté de rester indépendante des autres acteurs informatiques du ministère de l’Intérieur.

Chez les gendarmes, une filière SIC permet d’appuyer les différentes missions et activités de la gendarmerie.

Pour les sous-officiers, au bout de quelques années de services, il est possible d’intégrer la filière SIC après une formation diplômante au Centre national de formation aux systèmes d’information et de communication de la gendarmerie (CNFSICG).

La filière SIC concerne également les officiers qui peuvent se spécialiser par différents concours.

Par ailleurs d’autres types de recrutement permettent d’être réalisés sur la base de compétences spécifiques (ingénieurs, docteurs, spécialistes…) – des personnels que l’on retrouvera en tenue, pleinement intégrés et vus de l’extérieur comme des gendarmes.

C’est donc à tous les niveaux de la hiérarchie, des sous-officiers aux officiers supérieurs, que les gendarmes intègrent aujourd’hui les SIC et le numérique. La gendarmerie a su depuis longtemps en faire un levier de changement en devenant un acteur numérique de premier plan.

En parallèle de cette politique de RH, je dois souligner l’approche remarquable de la Gendarmerie en matière d’innovation.

Les ateliers de performance permettent d’identifier et de généraliser, le cas échéant, certains procédés innovants (numériques ou non) conçus et réalisés par le terrain, pour le terrain. Ils témoignent de la manière dont l’innovation est perçue ; le message est clair : chaque gendarme est un innovateur en puissance, quel que soit son positionnement hiérarchique, sa fonction ou sa localisation.

La création d’une mission du numérique au 1er mai 2017 est un autre signe de l’approche de la gendarmerie vis-à-vis du numérique.

Cette mission est dirigée par le colonel Eric Freyssinet, lui-même expert en cyber criminalité; la mission du numérique assure « le pilotage, de façon globale et transverse au sein de la gendarmerie, de notre stratégie numérique, et plus particulièrement en matière de transformation numérique et de lutte contre les cybermenaces ».

Plus récemment encore, la gendarmerie a créé la première brigade numérique dont l’objectif est de répondre rapidement aux demandes des citoyens 24h/24, 7j/7. Ce projet, porté par la mission du numérique, est épaulé par le dispositif d’entrepreneur(e) d’intérêt général (EIG) proposé par la mission Etalab.

Je ne veux pas dresser ici un tableau idyllique de la gendarmerie, il y a certainement des choses à revoir, mais force est de constater que les SIC et le numérique, sont au cœur de la stratégie de la gendarmerie, qui sait exploiter ce puissant levier de changement.

Et la Police ?

 

Si l’on y prête attention, on peut remarquer un certain déséquilibre entre les deux institutions au ST(SI)², alors que se passe-t-il côté Police ?

Un premier constat en termes d’effectifs : il y a moins de policiers que de gendarmes. S’il n’est pas simple d’en comprendre les raisons exactes, plusieurs facteurs peuvent néanmoins être identifiés :

  • le manque d’attractivité (perspective d’évolution, matière peu reconnue) ;
  • les exigences techniques des fiches de postes déséquilibrées entre l’offre et la demande ;
  • la localisation à Issy-les-Moulineaux, qui n’est pas simple d’accès lorsque l’on habite en banlieue (comme beaucoup de policiers) ;
  • l’environnement : le service étant au sein de la direction générale de la gendarmerie nationale, ce n’est certainement pas neutre.

Ensuite, l’écart de culture et de compétences informatiques à l’arrivée au service est remarquable.Souvent, les policiers ont un train de retard là où les gendarmes sont rapidement opérationnels.

Ces derniers sont souvent mieux armés parce que mieux formés et, il me semble, recrutés en adéquation avec leur fiche de poste (mieux que les policiers en tout cas). Il me semble que c’est le cas à tous les niveaux de la hiérarchie : gardiens, officiers et commissaires de police.

Pendant ces années passées au ST(SI)², certains collègues ne sont pas parvenus à s’adapter et ont finalement quitté le service alors qu’ils avaient pourtant le potentiel pour remplir leurs missions.

A contrario, cela n’empêche pas d’autres de s’adapter et de s’épanouir, mais il me semble que cela repose davantage sur leurs capacités propres (souvent autodidactes) que sur l’accompagnement proposé par l’administration.

Au-delà du ST(SI)², qui n’est finalement pas si représentatif de la population de collègues SIC, j’aborde depuis plusieurs années ce sujet avec la plupart des policiers informaticiens que je rencontre. Ils partagent quasi unanimement le constat d’une politique RH inadaptée et d’un manque d’attractivité des postes liés à l’informatique et au numérique.

Il est aussi nécessaire souligner les départs de la Police nationale pour le privé ou par voie de concours internes ou externes, souvent une perte sèche ; ce sont souvent de très bons éléments qui partent. Faute de statistiques partagées sur le sujet, il est difficile de connaître l’ampleur de cette fuite des cerveaux.

La révolution numérique vers une police 3.0

 

En septembre 2016, l’INHESJ publiait l’étude « vers une police 3.0 ».

En préambule, ce rapport rappelait l’impact de la révolution numérique : « Comme l’invention de l’imprimerie, de l’électricité ou de l’informatique, la révolution numérique bouleverse et va continuer à bouleverser profondément et durablement notre société », ainsi que les effets tangibles sur les politiques publiques comme :

  • La création de nouveaux modes de relation avec le grand public ;
  • L’optimisation des actions grâce à l’analyse de données ;
  • Les gains d’ETP grâce à la refonte de processus ;
  • Une meilleure adaptabilité des services rendus.

Le constat fait dans l’étude sur la partie RH est sans appel : « la mission RH s’avère sous-dimensionnée et son pilotage s’apparente à un mille-feuille. Force est de constater qu’à missions et objectifs égaux, policiers et gendarmes ne fonctionnent pas à l’identique.»

Elle présente huit axes d’amélioration, dont certains aspects RH intéressants :

  • développer les talents déjà présents au sein des institutions : gestion prévisionnelle des emplois et des compétences, filière métier dédiée à l’investigation numérique…
  • attirer de nouveaux talents : ouverture des concours, élargissement du champ des officiers commissionnés, interactions avec le monde extérieur, …

Si l’étude est axée sur les besoins purement opérationnels, souvent dans le cadre des missions de police judiciaire (essentiellement ICC et NTECH), il me semble qu’il est nécessaire d’aller plus loin et de considérer le numérique dans son ensemble. Ce sont bien toutes les activités de la police nationale qui sont concernées.

Une filière NSIC police

 

Comment penser que la révolution numérique ne concerne pas les RH… Comment être prêts à relever les défis qui nous attendent en investissant aussi peu dans nos collègues ?

Conforté dans cette idée par la plupart des collègues SIC que j’ai rencontrés, une mutation des RH semble indispensable pour répondre aux enjeux à venir et faire émerger une véritable culture numérique. Aujourd’hui on est encore trop souvent dans le bricolage : absence de formations, peu de gestion des compétences, des carrières qui ne sont pas valorisées.

Le numérique est encore trop considéré comme un « truc d’informaticiens », alors qu’il nous concerne tous (opérationnels et supports) tant il est devenu stratégique pour accomplir nos missions.

Aujourd’hui de nombreux policiers ont un emploi d’informaticien, souvent à temps plein, mais cette spécialité n’est pas reconnue, pas considérée, pas valorisée. La création d’une filière NSIC dédié à la police nationale permettrait d’organiser et de pérenniser une spécialité qui est aujourd’hui une réalité.

Cette filière serait tout à fait complémentaire de la chaîne SIC ministérielle existante (ingénieurs et techniciens des SIC). Mon expérience au ST(SI)2 m’a convaincu de l’intérêt du mélange des corps (policiers, gendarmes, SIC, contractuels…) et des profils (grandes écoles, autodidactes, opérationnels…) ; les bénéfices pour les projets me semblent évidents même si la valeur ajoutée est certainement complexe voire impossible à quantifier.

En plus de la filière interne, on pourrait également envisager le recrutement spécifique de profils « experts » issus de la filière SIC ministérielle voire d’externes en tant que policiers techniques comme c’est le cas en Gendarmerie.

La police, comme l’ensemble de la fonction publique, n’échappe pas à la mutation qui s’opère depuis plusieurs années. Il est tentant de vouloir cantonner les policiers à simplement exprimer leurs besoins à « ceux qui savent » (les DSI), mais les policiers doivent aussi pouvoir faire, expérimenter, créer. Ils sont, au même titre que les gendarmes, des innovateurs en puissance. Les mieux armés pour innover aujourd’hui demeurent incontestablement ces derniers.

En conclusion

 

Pour embrasser pleinement la révolution numérique, une évolution des politiques RH est nécessaire. Et s’il est légitime de se focaliser sur les activités opérationnelles, il est capital de prendre en compte ce puissant levier de changement qu’est le numérique.

Ce changement est bien plus profond qu’une simple affaire de technologie, ce changement est culturel ; il passe inévitablement par les premiers concernés : les policiers.

Voilà, un grand merci à Marie pour sa relecture attentive et merci à tout ceux avec qui j’ai eu le plaisir d’échanger sur le sujet. N’hésitez pas à me contacter si vous vous êtes retrouvés dans ce que j’ai écrit ou que vous avez des remarques sur cet article.

Bibliographie