Interview : @petite_suri fleekette dans le 9.3

Interviewer un policier (ou un gendarme), voilà quelque chose que j’avais envie de faire depuis un moment.

Il y a bien des idées reçues sur ces professions de la sécurité intérieure et un tel décalage avec ce que je constate dans les relations que j’entretiens avec mes collègues et mes camarades. C’est pour cette raison que j’ai eu envie de m’intéresser à ces « profils », un peu en marge des portraits maîtrisés institutionnellement et policés que l’on rencontre dans les médias.

C’est un(e) atypique que je cherchais pour cette première interview … et là je dois dire que j’ai été servi.
@petite_suri (c’est son compte utilisateur twitter) est une jeune femme, gardien de la paix, entrée à 18 ans dans la police.

 

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Bonjour @petite_suri, peux-tu te présenter ?

J’ai 27 ans, je suis en couple, j’ai deux chats et je suis policière depuis 9 ans maintenant.

Quel est ton parcours personnel, comment es-tu entrée dans la Police ?

Je suis rentrée dans la police par la petite porte. Quand je dis la petite porte, il s’agissait plutôt d’une lucarne en fait.
J’ai commencé comme cadet de la république. Pour rappel, les Cadets, c’est une formation d’un an pour les jeunes de 18 à 30 ans en alternance entre un lycée professionnel et une école de police. Elle permet, entre autres, de voir de manière plus approfondie le programme de la scolarité ADS, de préparer le concours de Gardien de la Paix, et d’avoir une remise à niveau scolaire pour les jeunes qui ont un peu décroché les études.

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Pourquoi Cadet de la République ?

Parce qu’un an me paraissait être une durée plus adaptée que les 3 mois de la scolarité ADS, pour savoir si le métier me plaisait.
Parce que avoir une préparation encadrée par des gens qui savent de quoi ils parlent pour passer le concours, c’est une chance inestimable.
Parce que n’ayant pas le bac, je n’avais pas le droit de passer le concours de Gardien de la Paix en externe.

Enfin parce qu’il faut savoir que je n’étais pas faite pour les longues études. Je n’étais pas mauvaise, je n’aimais juste pas ça. Du coup, je me contentais de faire acte de présence à l’école. À la fin de ma deuxième seconde, on m’a conseillé de trouver une voie professionnelle. Je n’attendais qu’une chose depuis plusieurs années, être majeur pour trouver un travail et arrêter les études. J’ai eu l’occasion de rencontrer des formateurs Cadets, et ça a fait tilt. Ils ont su me convaincre sans trop de difficulté, et je me suis lancée dans cette voie.

Et ensuite ?

Lorsque je suis sortie d’école j’ai été affectée à une unité équestre en tant qu’adjoint de sécurité (ADS). J’ai réussi mon concours de gardien de la paix du premier coup, je n’y suis donc pas restée plus d’un an. L’année suivante, je retournais à l’ENPP pour suivre ma formation de Gardien de la Paix.


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En sortie d’école, il y a maintenant 6 ans,  j’ai été affectée dans un commissariat de Seine Saint Denis où je travaille toujours. J’étais en brigade des mineurs, j’ai attendu d’avoir l’ancienneté nécessaire, et j’ai passé le bloc OPJ (Officier de Police Judiciare).

Je suis maintenant OPJ en BEI (Brigade d’enquête et d’Initiative)

Source http://www.metronews.fr/

 

Quelles sont tes missions ?

Ma mission est assez simple, j’enquête. Je travaille à l’établissement de la vérité.

Les procédures susceptibles de se retrouver sur mon bureau sont assez variées. Je gère tout ce qui ne se rapporte ni aux mineurs ni au routier.
Ça peut aller du trafic de stupéfiants au simple différent de voisinage, du vol à l’escroquerie.

Quelles sont tes aspirations professionnelles, comment vois-tu la suite ?

J’aimerais beaucoup intégrer la Brigade de Répression du Proxénétisme. La matière est intéressante, et j’aime l’idée de travailler pour les « oublié(e)s de la vie ».
J’ai également en projet de préparer le concours d’officier, ce serait une bonne réussite au vu de ma lucarne de départ.

A titre personnel qu’est-ce que tu aimes et que tu n’aimes pas, tes goûts, tes passions ?

J’aime beaucoup de choses, le cinéma, les jeux vidéos, mes chats (le plus souvent), chanter sous la douche, dessiner, écrire, me moquer des candidats de Koh Lanta, lire, faire des travaux manuels, et l’équitation.
Je déteste, les fausses victimes de viol, les serpents, mes chats (parfois) et l’hiver
Pour mes passions, j’aime tout ce qui est créatif. Je me garde tant que je peux du temps pour mes petits bricolages, la liste de mes activités est variée, travail du cuir, peinture, écriture, piano (depuis peu), dessin. En fait, ça m’arrive même de voir un tuto sur Youtube, et de me dire: « Tiens ça à l’air marrant », et d’aller au pas de course acheter le matériel nécessaire.

Tu peux m’en dire plus sur les objets que tu détournes ou que tu fabriques ?

J’aime beaucoup l’univers steampunk, donc beaucoup de mes bricolages consistent à vieillir des objets. Mes plus belles réussites sont les pistolets de la marque Nerf que je démonte, repeints et remonte ensuite. L’idée est de leur faire perdre leur aspect plastique aux couleurs criardes pour leur donner un effet métallique, vieux et usé par la vie. Plus ils ont l’air d’avoir passé 10 ans dans une décharge avant d’avoir été récupéré par un quidam, plus le rendu est à mon goût. Le premier m’a pris une semaine de travail, maintenant en une journée, si je m’organise bien, je peux en faire un du début à la fin, et le résultat est meilleur.

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Mais comme ma folie s’étend assez loin dans le domaine, je me dis : tiens j’ai le flingue, ce serait bien de faire un étui pour le porter. Bon ben en va apprendre a travailler le cuir. Tiens, ça irait bien avec des lunettes d’aviateur, bon ben on va travailler le métal. Etc… C’est chronophage, ça prend de la place, mais je pourrais ne faire que ça de mes journées.
Là, j’ai mis le projet « steampunk » de côté, j’ai envie de faire plein de choses et je ne sais pas par où commencer.

J’envisage entre autres de déparqueter mon appartement pour refaire l’isolation phonique, c’est à voir, mais je me dis que ça pourrait bien m’occuper cet hiver. Bon tout le monde se moque probablement de mon parquet, mais c’est pour illustrer le fait que dès fois je pars un peu dans tous les sens. Je suis obligée de me freiner constamment pour vérifier la viabilité de mes projets, sinon, mon appartement ressemblerait à Verdun.

Tu as une copine… tes collègues sont au courant ?

Oui mes collègues sont au courant. Je n’ai pas dit mon orientation sexuelle tout de suite. En général quand on ne dit rien, les gens supposent qu’on est hétéro. J’ai laissé les suppositions se faire. J’ai attendu d’être en couple, dans une relation sérieuse pour très naturellement parler de ma copine. Je ne l’ai pas joué en mode: « hey collègue, il faut que je t’avoue quelque chose » C’était plutôt : « ah t’as fait un barbecue ce week end ? Bah moi je suis allée au zoo avec ma copine. » Je ne me voyais pas mentir sur une part aussi importante de ma vie privée.
Je n’ai jamais rencontré de difficulté par rapport à ça, cependant, j’évite de faire mon coming out dans un service ou je compte travailler, que ce soit en stage ou en affectation, pour éviter les préjugés.
Parfois quand un collègue est un peu trop lourd, je lui rappelle que chez lui, ce que je préfère, c’est sa femme. En général ça marche plutôt bien. Faut savoir se détendre et blaguer sur le sujet, si on passe son temps à s’offusquer et a prendre mal les blagues des collègues on passe pour une connasse psychorigide.

D’après toi comment l’homosexualité est perçue dans la boîte ?

Je pense qu’il y a une distinction à faire sur le sujet. L’homosexualité féminine est plus largement tolérée que l’homosexualité masculine. Ça tient de la nature des rapports dans l’imaginaire collectif je pense. Pour ma part, comme je te le disais plus haut, je n’ai jamais rencontré de problème vis à vis de ça, mais mon collègue qui lui, a 40 ans, a vu les comportements changer dès lors qu’il sortait du placard. Il me dit ressentir encore ce genre d’attitudes, même si à mon sens ça s’est très largement atténué. On peut voir une différence de mentalité, en à peine 10 ans.
J’ai coutume de dire que la police est une tranche représentative de la population. Il  a des gens biens, il y a des gens dévoués, il y a des alcooliques, des homos, des hétéros, mais les proportions restent plus ou moins les mêmes que sur les reste de la population.
De même, il y a des homophobes, et il y en aura sûrement toujours. Si l’association FLAG a été créée, ce n’est pas seulement pour défiler sur un char à la Gay Pride! C’est bien que le sujet pose encore problème.

Pour quelles raisons tu as choisi un pseudo sur twitter plutôt que ton identité ?

Je veux pouvoir parler librement de mon travail. Je fréquente la sphère Police/Gendarmerie et plus largement magistrat et avocats. Tous sont de potentiels intervenants de ma vie professionnelle, et je préfère à ce titre garder l’anonymat. Je fais attention à respecter mon devoir de réserve, mais je veux continuer à pouvoir m’amuser de l’aspect insolite de mon métier.

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Tu dirais quoi à quelqu’un qui pense rentrer dans la police : avantages, inconvénients, qualités nécessaires… ?

La police c’est un monde. C’est une grande famille avec ton père, ta mère, tes frères et sœurs, mais aussi la vieille tante qui pique, et le cousin relou. La police, c’est des rencontres improbables, et partager l’intimité des gens le temps d’une perquisition, d’une enquête de voisinage ou de constatations. C’est entendre des histoires dingues, c’est voir des choses dingues. La police c’est raconter ton travail en soirée à tes potes, et qu’on ne te croit pas tellement ce que tu dis est énorme. La police c’est être psychologue, sociologue, et assistant social tout ça en même temps.
La police c’est aussi avoir l’opportunité de bosser en tant que cavalier, maître-chien, informaticien ou plongeur à la fluviale…

Pour ce qui est des qualités nécessaires, j’aurais deux types de réponses.
Si tu veux y briller, tu dois être bosseur, percuter vite, avoir le sens des priorité, parfois avoir le cœur bien accroché, être droit dans tes bottes.
Si tu veux briller à mes yeux, ajoute à la liste : être capable de te remettre en question et avoir du courage parce que ce n’est pas facile tous les jours.

Quelle est ta perception de l’informatique dans la police, est-ce que l’informatique t’aide au quotidien ?

On voit que la plupart des logiciels créés pour le police ont été fait par des gens qui n’ont aucune connaissance de la réalité du terrain, de ce qu’est le travail d’un enquêteur. A l’exception de quelques applications, tout est compliqué.

Pour donner un exemple concret, notre logiciel de rédaction (mon préféré parce qu’il est une espèce d’abomination créée par un savant fou dans un laboratoire).
La base de notre travail c’est le procès verbal. J’en rédige à longueur de journée. Un procès Verbal Blanc, est le plus couramment utilisé.
On se dit, quelque chose qu’on utilise autant, il faudrait pouvoir y accéder en deux temps trois mouvements genre: s’identifier, identifier la procédure visée, et valider. Or, il faut pas moins de 7 opérations pour arriver enfin sur notre fameux PV.
C’est comme si pour accéder à Facebook, on te demandait de rédiger l’URL, de valider, de valider ta validation, de t’identifier, de te demander si tu es certain de ton identifiant, de valider, de demander si tu préférerais pas twitter, et finalement te  laisser accéder à ton compte FB, alors que tu le consulte toute les 5 minutes (si si je le sais que t’es accroc).
Clairement, le mec qui a pondu ça, il avait beaucoup de critère sur son cahier des charges, mais l’ergonomie n’en faisait pas partie.
Pour citer un de mes collègues, l’informatique chez nous c’est: « toute la technologie du futur, avec les moyens du passé ».
Pour être franche, c’est souvent les plus vieilles applications qui fonctionnent le mieux, parce qu’elles sont plus simples.

Dans le titre de l’article il y a « fleekette », qu’est-ce que tu as d’une geekette alors ?

Ouhla la question est difficile. Je pense que je n’ai pas grand-chose de geek dans l’ancien sens du terme. Je passe plus de temps sur mon smartphone que sur mon ordi, qui me sert principalement pour le traitement de texte quand il me prend l’envie d’écrire.
Cependant, geek étant devenu un peu fourre-tout au fil des ans, je pense que je rentre dans plusieurs catégories : Hardcore gamer, otaku… etc.
Je commence à avoir une belle collection de manga, et je me plais a retrouver des vielles collections que je lisais enfant comme GunnM ou Eden.

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Je joue un peu (trop de l’avis de ma compagne) à la console. PS2 PS3 PS4, et je me tâte de racheter une super Nintendo par nostalgie. Je rêve de me refaire le donkey kong coutry de mon enfance.
Je fais des jeux de rôles à l’ancienne, ma meilleure (et la plus longue) campagne était sur RuneQuest. Par manque de temps, je ne joue plus, ou de manière sporadique. Difficile d’organiser une tablée quand j’ai déjà du mal à faire mon ménage.
Je suis une fan de l’univers des comics en général. Mon préféré, c’est Batman, bien-sûr ! Un personnage profond et humain, avec tout ce que l’humanité implique de noirceur. Un régal.
Vu mon parcours de rôliste, je lis beaucoup et depuis longtemps de l’Héroic Fantasy. Pour ceux qui veulent s’y mettre, je conseille l’Assassin royal de Robin Hobb, et plus généralement toute la collection de l’auteur ;
Sinon, plus généralement, j’aime traîner dans les bas-fonds d’internet, les articles, les vidéos, j’aime l’insolite !

Merci @petite_suri et bon courage pour la suite 🙂

 

Voilà, merci à vous d’avoir lu cette interview, j’espère que cela vous a plu. Une petite remarque concernant le terme de « fleekette ». Je l’ai trouvé au masculin dans cet article qui concernait le community manager de la Police Nationale du Bas-Rhin (que je salue au passage).

Et puis merci à @faradz pour la bannière 🙂

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