Schizo 2.0

La schizophrénie… Comment ne pas penser au personnage du film Psychose, dont on découvre qu’il a une personnalité double.

Bon ok, il s’agissait d’attirer votre attention, cependant c’est souvent une fausse croyance (schizophrénie=personnalités multiples) qui illustre assez bien ce dont je vais vous parler.

Personnalités multiples, multiples casquettes

 

Je vais donc vous parler de ces « changements de casquettes » que je vis au gré de mes différentes activités informatiques.

Ces activités concernent en premier lieu mon activité professionnelle : ingénieur des SIC (informatique) à la DSI de la sécurité intérieure (le ST(SI)), je travaille au sein d’une équipe en charge de la cartographie pour la police et la gendarmerie.

Par ailleurs, je suis l’un des fondateurs d’une communauté informatique, la CIMI, qui a pour ambition de fédérer les passionnés d’informatique au sein du ministère de l’Intérieur.

Si je fais le distinguo avec mon activité professionnelle c’est parce que dans nos statuts nous avons défini une frontière entre nos activités professionnelles respectives et les sujets que nous traitons dans cette association. Par exemple, nous nous interdisons toute ingérence dans les projets de nos directions. L’exercice n’est pas évident : il nous oblige à distinguer ce qui concerne l’association de ce qui relève des activités professionnelles, (début de schizophrénie, non ?). Je reconnais qu’il m’arrive d’échouer lamentablement à ce petit jeu là, alors je me pose la question suivante : « Mais quelle est ma casquette là ? »

A titre privé, je suis membre de l’association OpenStreetMap France qui vise à « promouvoir le projet OpenStreetMap et notamment la collecte, la diffusion et l’utilisation de données cartographiques sous licences libres ». Inutile de dire que mon intérêt pour OSM n’est pas rangé au vestiaire lorsque j’arrive au bureau le matin.

BANO – des questions

 

Un jour en particulier m’a fait prendre conscience de cette situation et m’a donné l’envie d’écrire sur le sujet. Je participais au premier atelier BANO (Base d’adresse nationale ouverte), initiative lancée par OpenStreetMap France. L’objectif de la réunion était alors de jeter les bases fonctionnelles et techniques du projet : numérisation, collecte et mise à disposition de données…

Cette réunion (un samedi, sur mon temps libre donc) rassemblait différents acteurs privés et institutionnels : l’association OpenStreetMap France qui organisait l’événement, une université, l’IGN, le SAMU, ETALAB, Michelin (petit clin d’oeil à un autre « schizo » :))… et moi là-dedans qui commençait à me poser des questions.

Mais qui étais-je vraiment ce jour-là ?

 

Alors, qui étais-je donc ce jour là ? Et quelle légitimité avais-je lors de cette réunion ?

D’abord j’étais un ingénieur en charge de la cartographie pour la sécurité intérieure : ce travail de réalisation d’une base d’adresses ouverte pourrait bien à terme alimenter la plateforme cartographique de la sécurité intérieure. La qualité des services de géocodage utilisés dans nos projets est intimement liée au référentiel d’adresses utilisé.

Par ailleurs, en tant que membre d’OSM France, je pense que ma modeste expérience de « mappeur » a été utile. Nous (les membres d’OSM) représentions, d’une certaine manière, les contributeurs qui alimentent cette base de données géographique.

Et enfin un citoyen lambda, client du service public : cette base d’adresses permettra sans doute l’intervention plus rapide des secours grâce à la fiabilité et la précision des adresses (appels 15, 17 et 18).

En réalité ce jour là je portais toutes ces casquettes en même temps, sans pour autant avoir de mandat clair et précis… j’étais bien toutes ces personnes à la fois.

Finalement, et c’est là où je veux en venir, cette réunion n’était pas un « truc de geek » comme on pourrait de le croire, mais bien le commencement de quelque chose de plus vaste, de plus global qui aboutira d’ailleurs à l’inauguration officielle de la Base Adresse Nationale, une collaboration d’acteurs publics et privés (l’IGN, la Poste, Etalab, OpenStreetMap France) pour la gestion et la diffusion de cette base de données.

Tout est connecté : la transversalité

 

Désormais, et c’est plus vrai encore en informatique, rares sont les sujets cloisonnés.

C’est un peu le point de vue que je défends au sein de la communauté informatique que nous avons créée, la CIMI) il y a deux ans avec un leitmotiv : la transversalité.

Une transversalité qui s’exprime à plusieurs niveaux :

  • Organisationnel : entité à laquelle on est dépendant, le but étant d’abattre, même temporairement, les cloisons ;

  • RH : catégorie et corps auquel on appartient : chez nous (au ministère de l’Intérieur) il existe une grande diversité de catégories de personnel (administratifs, personnels techniques et scientifiques, policiers et gendarmes, contractuels…) ;

  • Fonctionnel : fonction et missions que l’on est amené à exercer (enquêteur, technicien informatique, agent administratif…).

Nous proposons depuis un an et demi des miditechs, ouverts à toute personne de notre ministère et, au cours desquels, par exemple, un enquêteur peut rencontrer un informaticien, un agent administratif peut échanger avec un gendarme, le technicien d’un centre d’exploitation est mis en contact avec un policier de sécurité publique, etc.

Mieux encore, des contacts existent depuis entre des personnels du ministère de l’Intérieur et d’autres ministères comme ceux des Finances (douanes, DGFIP), de la Défense (DGA), de la Justice…

Depuis 2 ans je peux dire que c’est notre plus belle réussite, créer du lien là où il n’en existait pas.

Cette transversalité s’exprime aujourd’hui au-delà de la fonction publique.

Twitter : une (autre) nouvelle donne

 

L’article Policiers sur Twitter : les comptes (officiels et officieux) à suivre écrit fin 2014 par Camille Polonni marque une étape importante dans l’évolution des usages du numérique. C’est le temps de notre (comprenez les policiers) « coming out », le temps où certains comptes individuels sont mis sur le même niveau que les comptes institutionnels. L’article montre d’ailleurs très bien que les comptes individuels complètent à merveille les comptes institutionnels.

Tout le monde n’apprécie pas cette activité parallèle et j’entends des critiques ici et là sur le devoir de réserve. Mais finalement que retient-on en termes d’image pour la police ? Même si les collègues sont parfois sarcastiques et plus rarement critiques envers leur institution, je retiens que l’on a affaire à des policiers qui aiment leur métier, montrent une réelle compétence et, au bout du compte, donnent une image positive de la police.

Quelques temps plus tard Camille Polonni récidive en publiant un autre article portant cette fois sur sur les comptes de gendarmes : Sur Internet ou sur la route, les gendarmes à suivre sur Twitter. Comme le souligne la journaliste, les gendarmes sont « plus enclins à s’inscrire sous leur vrai nom ». Une différence avec les comptes personnels de policiers qu’il serait intéressant d’étudier (« différence culturelle » ?).

La sphère twitter « sécurité intérieure » (entendez police/gendarmerie) se mêle tout naturellement à d’autres comptes axés sur l’informatique, mais aussi à d’autres types de comptes professionnels : journalistes, avocat(e)s, magistrat(e)s… Ce mélange, qui peut paraître a priori improbable, est intéressant à bien des égards, il nous permet de mieux nous connaître, il désacralise nos professions respectives, il humanise aussi nos différents mondes.

Dans le prolongement de la twittosphère, le blog 15cpp.fr est lui aussi emblématique de cette nouvelle donne. Ce site, très populaire dans sa catégorie, regroupe policiers, gendarmes et douaniers passionnés par la Police Judiciaire. Leur devise est la suivante : « Nous ne portons pas le même uniforme, et pourtant tant de choses nous rassemblent ». Les articles proposés portent sur l’exercice de la PJ, ont une approche différente des contributions habituelles sur le sujet.

C’est l’un des effets de la révolution numérique que nous vivons, édifiant quand à la transversalité que j’évoquais précédemment.

La révolution (numérique) des fonctionnaires

 

La lecture de l’article L’État est plus proche d’une entreprise de la Silicon Valley que ne l’est une PME industrielle sur le site usine-digitale.fr me conforte dans cette idée qu’une (r)évolution est bien en marche, il s’agit d’une interview d’Henri Verdier, patron d’Etalab par ailleurs co-auteur avec Nicolas Colin de l’âge de la multitude.

L’article établit un parallèle fréquent entre le public et le privé, deux secteurs que l’on a pourtant souvent opposés. Henri Verdier y défend une vision très audacieuse de la fonction publique. Concernant les effets de l’ouverture des données (Open Data) ce dernier évoque la fin de «la position de l’État omniscient » et les questions que cela pose : « Qui sommes-nous ? Quelle est notre mission aujourd’hui ? Demain ? », il s’intéresse également au changement culturel : «Certains changements sont implicites : est-ce que l’entreprise accepte la liberté de parole de ses salariés sur les réseaux sociaux ? Est-ce qu’elle s’en félicite ? ».

Il est clair que l’on ne peut ignorer cette révolution déjà en marche, et la fonction publique devra s’y adapter, en réalité elle a déjà commencé. Mieux encore, nous devons tirer parti de cette nouvelle donne, il y a des talents dans la fonction publique dont il faut « simplement » prendre conscience, qu’il faut valoriser et cultiver.

Le corollaire de ce franchissement de cap suppose aussi un changement profond à tous les échelons : méthodes de management, confiance faite aux agents, acceptation du caractère transversal de nos activités, sans oublier nos échanges avec le secteur privé.

Voici ce que j’avais dit en conclusion d’un billet sur la CIMI : « Il y a bien une prise de conscience des enjeux stratégiques du numérique au sommet de l’Etat. La récente réaffirmation du rôle de la DISIC dans le pilotage des SI de l’état, la mission Etalab en charge de l’ouverture des données publiques (Open Data), les attributions d’Axelle Lemaire, secrétaire d’état chargée du numérique sont autant de signes de cette prise de conscience. ». Ce point est tout à fait d’actualité et les conditions sont bien en place pour que cela bouge à tous les niveaux.

Je ne veux pas masquer par mon enthousiasme les problématiques liées aux budgets en baisse et aux marges de manoeuvre réduites en termes de RH dans la fonction publique. Ces contraintes doivent effectivement être prises en compte, on ne pourra pas année après année poursuivre l’objectif implicite : « avec moins faire mieux ».

Pour en revenir au propos initial de ce billet portant sur ma schizophrénie informatique, et si ce n’était pas une maladie finalement ? Et si ces « personnalités multiples » n’étaient que le fruit d’une partition qu’on nous (les fonctionnaires) impose depuis des années ? Et si cette transformation de l’Etat me concernait aussi ?

L’actualité récente ne confirme-t-elle pas ces interrogations ? Le patron de la DISIC, Jacques Marzin, plaide dans un article du journal en ligne next impact pour que l’Etat laisse ses agents « consacrer, sur une période donnée, une fraction significative de leur temps de travail à des travaux sur le logiciel libre ». Dans une tribune sur le journal en ligne silicon.fr, le DISIC appelle également de ses voeux la création d’un « centre d’expertise sans murs », et ajoute « à l’image des communautés Open Source… ses membres, disséminés sur l’ensemble des ministères, ne seraient déplacés ni physiquement, ni administrativement ».

On en revient à la transversalité qui paraît plus que jamais intéressante, nécessaire.

J’espère que vous avez pris du plaisir à lire ce billet. N’hésitez pas à me contacter via mon compte twitter : @eric_pommereau.

Je tiens à remercier ma petite soeur Marie pour le temps qu’elle a consacré à l’amélioration de ce billet. Merci également à mon épouse Marine et à Nicolas pour la relecture et les corrections proposées.

Quelques liens :

 

La photo… une explication pour les courageux qui sont allés au bout de ce billet :). Cette photo a été prise à l’occasion d’un exercice SINUS impliquant l’APHP, les pompiers, la police ainsi que la zone de défense de la Préfecture de Police. Un an plus tard je quittais la PJ parisienne pour une nouvelle carrière d’ingénieur des SIC, j’étais loin d’imaginer, alors, à quel point cette transition serait difficile, sujet que j’aborderai peut-être dans un prochain billet.